Points clés
- Un examen oculaire complet doit être réalisé chez tous les oiseaux de proie présentés pour une prise en charge médicale.
- Dans la mesure du possible, observez dans un premier temps l’oiseau à distance et questionnez de façon exhaustive la personne qui s’en occupe sur sa prise alimentaire et ses habitudes de vol.
- Chez les oiseaux, l’iris contient un certain nombre de fibres musculaires striées. Cette particularité rend l’utilisation de parasympatholytiques (par exemple l’atropine et le tropicamide) inefficace. Heureusement, il est généralement possible de dilater suffisamment les pupilles en assombrissant la pièce.
- Un léger degré d’anisocorie peut être normal chez les rapaces si les yeux ne sont pas éclairés de façon symétrique.
- Un vrai réflexe photomoteur consensuel n’est pas détectable cliniquement.
- Evaluez la fonction visuelle et la capacité de l’oiseau à attraper des proies vivantes avant de le relâcher dans la nature.
Introduction
L’oiseau, c’est une aile guidée par un œil… Rochon-Duvigneaud: Les Yeux et La Vision Des Vertébrés
Chez de nombreux oiseaux, l’œil est l’organe sensoriel le plus important, et même une altération partielle de la vision peut engendrer de lourdes conséquences. Malheureusement, les lésions oculaires représentent des trouvailles fréquentes lors de l’examen ophtalmique chez les oiseaux de proie.
Evaluation de la fonction visuelle
Les déficits visuels sont souvent détectés plus rapidement chez les oiseaux de fauconnerie car il est possible de les observer en train de voler, de chasser, de se percher et d’interagir avec des congénères. Il sera important de questionner de façon exhaustive la personne s’occupant de l’oiseau ou d’observer directement l’oiseau à distance.
- Comment l’oiseau se nourrit-il ? Un oiseau récemment atteint de cécité échoue souvent à trouver sa nourriture dans sa cage mais consommera sur-le-champ de la nourriture présentée à la main.
- L’oiseau est-il réticent à s’envoler ? Les oiseaux atteints de pertes visuelles sévères sont peu enclins à voler. Un oiseau présentant un défaut de vision aura tendance à rater son perchoir de façon constante voire à voler dans un mur ou un objet de grande taille.
- La position de la tête est-elle normale ? Une perte de vision unilatérale est parfois associée à une posture anormale de la tête pouvant aller d’un port de tête subtilement penché jusqu’à un l’opisthotonos. Un oiseau présentant une cécité unilatérale gardera l’œil visuel orienté vers l’activité présente dans son environnement. Certains oiseaux fixeront un objet aux couleurs chatoyantes et suivront ses mouvements.
- Les oiseaux présentant un déficit visuel peuvent également démontrer de l’appréhension lorsqu’il y a de l’activité à proximité et présenter une réaction de surprise accentuée.
Evaluation de l’oiseau contenu
Il est utile d’avoir une connaissance du comportement normal des rapaces lors de la réalisation d’un examen ophtalmique. Les buses, telles que la buse à queue rousse (Buteo jamaicensis) sont d’un tempérament plutôt calme lorsqu’elles sont restreintes alors que les éperviers et les autours comme l’épervier brun (Accipiter striatus) sont de nature très nerveuse. Les éperviers et les autours sont très sensibles au stress induit par des manipulations prolongées. Les faucons se situent dans une position intermédiaire tandis que de nombreuses chouettes et hibou se comportent avec placidité. Dès lors que la contention manuelle est responsable d’un stress important (dont le premier signe est généralement une respiration bouche ouverte), l’utilisation d’une anesthésie gazeuse doit être considérée de sorte à faciliter l’examen. Une anesthésie doit être utilisée si la manipulation d’un épervier ou d’un autour doit être prolongée.
- Un examen ophtalmologique doit d’abord commencer par une évaluation de l’apparence générale de la tête et de la région péri-oculaire.
- Inspectez l’intérieur des oreilles, plus particulièrement chez les chouettes et les hiboux, car un traumatisme récent peut avoir provoqué l’apparition d’ecchymose dans le canal auriculaire (Figures 1 et 2).
Figure 1. reille d’une chouette rayée (Strix varia). Crédit photographie: Dr Christal Pollock. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.
Figure 2.Vue rapprochée de l’oreille d’une chouette rayée (Strix varia). Crédit photographie: Dr Christal Pollock. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.
- Utilisez une source de lumière focalisée telle qu’un transilluminateur de Finoff (Fig 3) afin d’évaluer la position oculaire, la symétrie des globes ainsi que le diamètre et la symétrie pupillaire (Fig 4 et Fig 5).
Figure 3. Utilisation d’un transilluminateur pour évaluer l’œil d’une chouette rayée (Strix varia). Crédit photographique: Dr Christal Pollock. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.
- Le réflexe photomoteur est normalement très bref et la contraction doit être plus rapide que la dilatation. Un réflexe lent indique habituellement un trauma crânien important. Bien que la décussation du nerf optique soit complète au niveau du chiasma, une réponse pupillaire consensuelle a été démontrée expérimentalement chez des poulets. Cliniquement, il est rare d’observer un vrai réflexe photomoteur consensuel. En revanche, un réflexe photomoteur consensuel aberrant peut être déclenché lorsque la lumière utilisée pour éclairer un œil atteint le globe controlatéral en passant au travers du septum interorbitaire qui est excessivement fin.
- La réponse initiale des éperviers, des autours, des buses et des faucons lors de l’évaluation de la réponse à la menace est semblable à celle des mammifères et se traduit par un clignement ou un mouvement de la tête. Toutefois, de nombreux oiseaux (et particulièrement les chouettes) ne montreront pas d’autre réaction qu’un changement du diamètre pupillaire ou un mouvement de la membrane nictitante. Les éperviers et les autours peuvent perdre la réponse à la menace en cas de manipulation prolongée.
- Confirmez la mobilité et le fonctionnement des paupières en tapant légèrement le canthus médial ou latéral de l’œil avec un doigt ou à l’aide d’un coton-tige. Il est possible que les paupières ne se ferment que partiellement, mais les membranes nictitantes doivent présenter un mouvement complet et rapide. Si la situation est indiquée, il est possible de saisir et d’étendre le bord libre des paupières ou des membranes nictitantes à l’aide d’un instrument atraumatique tel qu’une pince de Graefe.
- La cornée doit être claire et humide, et l’iris doit avoir une texture lisse et uniforme. Illuminez la cornée à l’aide d’une source de lumière vive et utilisez un système grossissant pour juger de la limpidité de la chambre antérieure en évaluant l’existence de toute diffusion lumineuse à l’intérieure de la chambre (effet Tyndall).
- Le segment postérieur peut être examiné par ophtalmoscopie directe (PanOptic™, Welch Allyn). Idéalement, il devrait être évalué en utilisant une technique d’ophtalmoloscopie indirecte avec une source de lumière focale. Utilisez une lentille de 20-30 dioptries pour les oiseaux présentant une pupille relativement large comme les rapaces (Fig 6).
Bien que la pupille des oiseaux ne puisse être dilatée de façon fiable par l’utilisation de substances agissant sur le système autonome, les pupilles peuvent généralement être suffisamment dilatées en obscurcissant la pièce. Une anesthésie volatile, incluant l’utilisation d’une canule placée dans les sacs aériens, peut également être utilisée pour compléter l’examen oculaire.
La vascularisation choroïdienne est clairement visible chez la plupart des jeunes chouettes dont l’épithélium rétinien est faiblement pigmenté (Fig 7).
Figure 7. Vascularisation choroïdienne supérieure chez un petit-duc maculé (Megascops asio). Photographie fournie par Dr Christopher Murphy. Permis de reproduction fourni par « Compendium Small Animal ».
Les vaisseaux choroïdiens sont plus difficiles à évaluer chez la plupart des rapaces diurnes et sont dans de nombreux cas totalement masqués par l’épithélium rétinien pigmenté qui les recouvre. Chez ces oiseaux, la présence de pigment au sein de la rétine et de la choroïde sous-jacentes confère une couleur typiquement gris ou brun à rouge-brun au fond d’œil.
Le trait dominant lors de l’examen du fond d’œil est le pecten. Le pecten est typiquement localisé en région temporo-ventrale dans l’œil. Au pourtour de la base du pecten se trouve une fine ligne blanche représentant la périphérie du disque optique (Fig 8).
Figure 8. Fond d’œil normal chez un rapace, illustrant la vascularisation choroïdienne et montrant le pecten pigmenté et plissé, masquant partiellement le disque optique. Crédit photographique: Dr David Williams MA VetMB PhD CertVOphtal FRCVS.
Examens complémentaires
Les techniques ophtalmiques utilisées chez les autres animaux peuvent être utilisées chez les oiseaux, le seul facteur limitant étant généralement la taille.
Evaluation de la production de larmes
Les valeurs de référence pour le test de Schirmer ont été rapportées chez les oiseaux en utilisant des bandes de papier filtre mesurant 2-5 mm. Les valeurs moyennes rapportées pour l’utilisation de bandes de 5 mm sur une minute sont de 4.1 à 14.4 mm/min pour les Falconiformes et 10.7 à 11.5 mm/min pour les Accipitriformes. Les chouettes et les hiboux présentent des valeurs constamment plus faibles (< 3 mm/min).
Culture
Appliquez une seule goutte d’anesthésique topique avant de prélever un écouvillon pour une culture bactérienne. Utiliser un petit écouvillon en alginate de calcium ou un écouvillon à embout rayonné (Mini-tip, Beckton Dickenson Microbiology Systems ou Calgiswab, Spectrum Laboratories) de sorte à éviter tout contact la peau ou les plumes). Utilisez la paupière supérieure qui est la moins mobile, pour obtenir un écouvillon conjonctival. Ecouvillonnez le centre et le bord des lésions cornéennes. En cas de suspicion de descemetocœle, ne réalisez pas d’écouvillon sur un oiseau vigile.
Cytologie
L’examen cytologique est indiqué dans les cas de conjonctivite, d’ulcère cornéen associé à un infiltrat cellulaire et de masse péri-oculaire. Administrez une goutte d’anesthésique topique 15 à 20 secondes avant le prélèvement. Réalisez une aspiration à l’aiguille fine des masses et utilisez une petite brosse stérile ou une spatule (Storz, St. Louis, MO) pour exfolier délicatement les cellules en regard des lésions conjonctivales ou cornéennes.
Appliquer un coton-tige imbibé d’anesthésique topique directement sur le site de ponction avant de réaliser une aspiration à l’aiguille fine afin de diminuer le stress et faciliter le prélèvement de l’échantillon.
Pression intraoculaire
Appliquez un anesthésique topique sur la surface cornéenne 10 à 15 secondes avant de mesurer la pression intra-oculaire (PIO). Les valeurs de références de PIO chez les rapaces s’étendent de 9-12 mmHg. Bien qu’un tonomètre de Schiotz puisse être utilisé chez les oiseaux les plus grand, un tonomètre par aplanation (Tonopen, Mentor O&O) fourni des résultats reproductibles sur des yeux dont le diamètre cornéen est aussi petit que 9 mm. L’utilisation d’un tonomètre à rebond (TonoPen XL, Reichert) a été rapport chez des poulets et des Grand Duc d’Europe (Bubo bubo). Jeong et al. rapporte que les valeurs de PIO obtenues par tonométrie à rebond sont significativement plus élevées que les valeurs obtenue avec la tonométrie par aplanation.
Imagerie
Utilisez des techniques radiographiques, tomodensitométriques ou d’imagerie par résonance magnétique afin d’évaluer le contenu orbitaire et les ossicules scléraux. L’échographie oculaire, réalisée à l’aide d’une sonde de 12 MHz ou plus, peut fournir une aide précieuse pour examiner un œil atteint d’opacification cornéenne ou cristallinienne avancée, en cas de fermeture de l’ouverture pupillaire ou pour évaluer l’existence de lésions rétrobulbaires. L’échographie oculaire facilite également l’identification d’un décollement de rétine inférieur.
Electrodiagnostic
L’électrorétinogramme (ERG) évalue la fonction photoréceptrice de la rétine. L’ERG est principalement indiqué pour exclure l’évolution d’une dégénérescence des photorécepteurs rétiniens en cas de dysfonctionnement visuel et pour évaluer la fonction rétinienne avant une chirurgie de cataracte.
Evaluation avant la relâche
L’examen de la fonction visuelle doit impérativement être pris en compte lors de l’évaluation du potentiel de relâche d’un oiseau. En dépit d’un nombre de débat considérable sur ce sujet, il existe trop peu d’information sur la manière dont les lésions oculaires impactent le potentiel de survie après la relâche dans la nature pour établir des lignes directrices. L’utilisation de volière d’entraînement à la relâche permettant d’évaluer avec précision la faculté du rapace à capturer des proies vivantes est fortement recommandée. Toutefois, la capacité à capturer des proies dans un environnement contrôlé ne se traduit pas nécessairement par des techniques de survie efficaces dans la nature.
Les paramètres suivants sont les critères de relâche que je prends en compte:
- La chronicité: Une lésion présente depuis des mois ne doit pas être jugée aussi sévèrement qu’une atteinte récente. Chez les rapaces, les cicatrices sont associées avec une hyperpigmentation et une dépigmentation choriorétinienne. Les cicatrices apparaissent sous la forme de lésions aplaties et bien délimitées (Fig 9), alors que les lésions actives apparaissent surélevées et irrégulière avec une délimitation floue.
- Localisation: Les lésions impliquant les structures optiques situées dans l’axe visuel et les lésions fovéale de la rétine sont les plus sévères. Les lésions périphériques peuvent n’avoir qu’une répercussion limitée sur la vision. Les lésions de la fovéa doivent être jugées plus sévèrement que les lésions impliquant la périphérie du fond d’œil.
- Extension: De petites lésions focales sont moins significatives que des lésions extensives ou des lésions impliquant plusieurs structures oculaires.
- La symétrie: Les lésions bilatérales représentent un handicap plus important que les lésions unilatérales, et plus particulièrement si elles impliquent les milieux optiques situés dans l’axe visuel et/ou les fovéas.
- Les autres systèmes corporels: L’impact des lésions oculaires peut être exacerbé par l’effet handicapant de lésions affectant d’autres systèmes corporels. Un oiseau capable de survivre avec un déficit unilatéral léger à une aile pourrait mourir de faim s’il souffre en plus d’une perte de vision significative.
- L’âge: Il est estimé que 75% des rapaces sauvages ne survivent pas à leur première année de vie. Pour cette raison, les lésions ont plus d’importance chez les oiseaux jeunes et inexpérimentés que chez les oiseaux matures qui ont affinés leur technique de chasse.
- L’espèce: Les lésions oculaires sont plus délétères chez les oiseaux de proie diurnes car les chouettes et les hiboux possèdent une audition développée. Par exemple, il a été montré que les chouettes effraies (Tyto alba) sont capables de capturer des souris dans l’obscurité absolue, à la seule aide de signaux sonores.
Un oiseau ne présentant qu’un seul œil visuel devrait-il être relâché ? Tous les facteurs cités ci-dessus doivent être pris en considération afin de répondre à cette question. Il est intéressant de remarquer que de nombreux rapaces visuel d’un seul œil sont considérés en très bonne santé dans les stations de baguage qui capturent, examinent et baguent les rapaces sains en migration. S’il n’existe pas de possibilité de placer un oiseau présentant une perte de vision unilatérale mais par ailleurs en bonne santé, au sein d’un programme d’éducation, et que les seuls options se limitent à la relâche ou à l’euthanasie, la relâche devrait être sérieusement considérée.
Références
- Utilisez une source de lumière focalisée telle qu’un transilluminateur de Finoff (Fig 3) afin d’évaluer la position oculaire, la symétrie des globes ainsi que le diamètre et la symétrie pupillaire (Fig 4 et Fig 5).
Références
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